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Au silence

Fabrice Coste, venu la rejoindre Jessica Vuillaume  durant sa résidence, nous livre ce texte :

Au silence

Sous la pluie et le jour, la maison veille et dort. Sans son étoile rouge de la nuit, elle redevient simple bateau, ancré dans les rochers entre les mouettes et les îles nues. Sa sœur devant elle, la Maison du Gardien, n’a pas d’étoile. Elle est toujours une maison, le jour comme la nuit.

 

La maison Wrac’h, elle, attend.

Pour partir encore, rejoindre les battements des autres phares des Abers et former leur filet d’étoiles.

 

C’est un filet d’étoiles de survie. Le seul filet marin que tendent les hommes pour qu’aucun ne soit pris, pas mêmes les bateaux !

 

Le jour, elle éteint l’étoile de sa coquille, la range quelque part sous son escalier vert, dans une des invisibles malles de ses cent ans (cent soixante-treize ans, pour tout dire…).

Le jour, elle étend son jardin, sa forêt de fougères, ses ruelles d’herbe douce.

Mais elle a sa beauté de fille aussi ! Ne croyez pas qu’à cent ans et des poussières d’étoile, on ne soit pas attirante et jolie ! Ses milliers de milliers d’habitants le savent bien ! Voyez sa plage de roches et de sable fin ! Quel charme ! Elle se poudre de rocailles, se pare d’un blanc rivage et, quand le soleil s’y fait lagon, les phoques, les voiliers, les mariniers passent s’y mirer fièrement.

Ses milliers et milliers d’habitants, les enfants de l’île, ne sont plus que de petits escargots, depuis le départ du dernier homme d’ici, c’était en 1994, dit-on.

Depuis, l’île la nuit, sous l’étoile rouge, est aux fantômes marins et aux bivouacs d’artistes.

Sans doute d’anciens navires, oubliés à jamais, viennent aux heures de lune et de marée, accoster la maison-phare, entre les grandes portes de l’embarcadère.

Car, regardez bien.

Marchez un peu mieux.

Prenez au vol une mouette, si vous ne comprenez pas.

L’île Wrac’h n’est pas une plage, une maison, une étoile, un phare ou un jardin : c’est une bastide, c’est un rempart en forme de voile, autour d’une étoile, un château.

Un château de berger comptant ses huîtres à l’horizon, un château à cheminée cultivant la mer et les souvenirs, pointu comme un œuf, dont la nuit, le cœur brille encore.

Venez ici semer vos grains de sel, boire le bon vent naissant, cueillir l’agrume de mer, écouter les pierres vous parler des côtes, les tables de bois vous demander parole, les coutils vous offrir le gîte et le phare, l’asile de son île.

Dans cette maison, vous êtes aux portes de la mer : le village là-bas vous regarde comme l’étranger et vous visite comme une autre terre.

Vous êtes dans le silence si riche des échos de la mer.

Vous êtes avec les goélands.

Vous êtes parmi les navires. Vous êtes entre les pages du vieux livre de bord, roussi et rongé.

Vous êtes sur Wrac’h, adopté quelques heures par la mer et par une terre inhabitée où tous ceux qui viennent dormir, ne sont plus désormais que les frissonnants passagers d’une maison offerte aux vagues des marées.