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Jeudi 13 avril, moment d’échange avec Axel Sourisseau, écrivain en résidence

  • Posted on: 04, 25, 2023
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Jeune poète talentueux, féru d’anthropologie, lauréat du prix de la Crypte avec son recueil Le ravin aux ritournelles duquel, selon la légende, ont surgi la musique et les chants au premier jour du monde, Axel Sourisseau sillonne grâce à l’écriture les liens complexes entre territoire, mythe et mémoire. Depuis plusieurs années, ce jeune auteur parcourt l’Europe à la recherche d’inspiration. Arrivé sous un temps radieux, son séjour à la maison-phare a été marqué par une deuxième semaine de tempête violente. Notre visiteur devenu gardien de phare a essuyé de gros coups de vent…  jusqu’à surveiller  le remplacement de l’éolienne, tombée dans la tempête, par les agents des Phares & Balises. Il a vécu une expérience très forte, et loin de la vie citadine, il a puisé son énergie plongé dans la solitude de l’île.

Par un après-midi d’avril, Axel nous accueille à la maison phare… On s’acclimate à la pénombre, une lampe tempête éclaire la salle, la carte au sol semée de coquillages, l’écume, les galets, l’âme du zéphyr sur l’océan… la mer, le sable, les bourrasques… En voix off, caché dans l’escalier, il nous fait partager son expérience. En lisant son texte, l’auteur nous plonge dans son univers poétique. 

C’ est un voyage différent pour Axel Sourisseau:  aux confins du Finistère, il découvre dans son séjour à la maison-phare une temporalité particulière dans la solitude d’un voyage intérieur, face à un vent impressionnant, belle matière pour son inspiration, “délicieux pour l’écriture”, dit-il.

Son cheminement commence toujours par une carte pour apprivoiser le territoire, en quelque sorte, point de départ précieux pour son projet. Jouissant au phare d’une carte sur laquelle il peut marcher,  Axel se laisse dériver par la géographie du lieu, il tire le fil d’un passé fantasmatique en prenant des éléments de notre réalité contemporaine.  Le lecteur se laisse emporter dans un univers ambigu, où notamment, les noms bretons, véritable pouvoir sur l’imaginaire, lui permettent d’inventer une signification, tel le rocher de Menozac’h, évoquant un passé inconnu où se mêlent mythe et réalité. Inspirée de St John Perse, sa poésie donne un reflet visionnaire de notre présent, tel un chant polyphonique. Mais, mieux que des mots, pour illustrer sa création poétique, d’une écriture riche et originale, voici des extraits de son texte présenté au phare, qu’Axel nous a gentiment fait parvenir.  Nous le remercions pour sa participation, son aide, et sa bienveillance.

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Ici, nous autres n’avons pas le loisir, comme en ville dans les avenues impériales, d’allumer nos lampes à la fin du jour, pour le simple loisir qu’elle procurent à croire le crépuscule un art de vivre, entre lumière et obscurité jaillissante.

Ici, nous autres attendons l’extrême limite de l’astre pour saisir les globes de verres, les réserves de mèches, installer l’huile dans son berceau pour prolonger de quelques heures utiles l’existence ; afin de glaner quelque récompense auprès d’un quotidien de labeur. Lorsque le ciel ardoise octroie aux lapins leur liberté à travers la lande de ronces, de roches et de fougères, le sommet du phare s’anime du même entrain secret, nécessaire à la survie du monde. Il tournoie et cligne des pupilles jusqu’à ce que l’horizon se moque des écueils. 

La mer emporte avec elle la pénombre, et ma parentèle aussi se laisse emporter par la nuit, les visages parfois ravivés de flammèches. Les prolongations sont fugaces, les récompenses dont je parlais plus haut tout autant : tout est économie. Ici, pour nous autres, tout est calcul, le seul surplus toléré est celui de lumière. La sécurité du feu est sacré, l’horizon au creux duquel phares, balises et amers se répondent, brandissent leurs signaux valeureux au-dessus de l’écume. Vain terme, l’écume, pour qui n’a jamais connu les fenêtres brisées et les galets disloqués par le vent. L’écume est la lame du zéphyr sur l’océan, lame qui persiste et entaille les joues, sans cri de guerre ni volonté cruelle. Princesse en son royaume, fille de Shou, flux d’air sifflant soufflant persiflant et de Falka, terre liquide plus immense que les sables inhabités ; dense, épaisse, étouffante.

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La statue du chien noir, Menozac’h, marque la limite des territoires anciens, sculpture millénaire recouverte de fucus. Elle signale les origines de notre civilisation et ses concrétions en annoncent la fin, obélisque enfoui chaque année sous un centimètre de vase supplémentaire. L’aïeul prétend en avoir vu, enfant, le socle, et sa vis-à-vis rit affectueusement de sa vantardise : « Si tu avais mille ans, peut-être te croirais-je ! ». Moi, je m’interroge pour la première fois sur nos âges respectifs : quels sont-ils, et qui donc les consigne avec soin pour en témoigner ?

Lorsque la lune rousse annonce son règne, nous ramenons des bols de sables que l’aïeule disperse sur le sol avant d’y égrainer quelques gouttes d’eau de pluie. Elle tâche de discerner l’orientation des vents, la lumière des saisons prochaines. Nous traçons un calendrier sur le mur chaulé de la cuisine ; le lendemain, guettons parmi les anciens fours à goémons les signes de tremblements à venir.

Au loin se pressent les rochers d’Emeritt, ces dents du large qui, dit-on, enfantèrent le calendrier des Vents entre leurs mâchoires d’opale. Lorsque depuis le sémaphore nous autres entremêlons nos langes les unes aux autres, craignant l’effondrement des pierres, l’océan nous rappelle à l’aube. Notre royaume est fait de brutes falaises ensemencées d’abysses. Nous n’avons pas d’écriture, si ce n’est celle des coquilles éparpillés sur le parvis d’une grève cadavérique, vain nuancier d’ivoire et de jonquilles. Des chants polyphoniques s’élèvent alors entre les vents, contre les parois de granit. Ici, nous autres gravitons pour le monde, sur l’onde. Nos gestes sont précis, tandis que la lune interpelle les aveugles du Septentrion. 

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